La QPN 2018, une exposition de photo sur l'invisible

La QPN, Quinzaine Photographique Nantaise, s’est tenue du 14 septembre 2018 jusqu’au 14 octobre 2018. Le thème de cette 22éme édition était encore l’invisible mais abordé cette fois-ci par l’angle de la disparition. Je profite donc de cet évènement passé pour revenir sur une caractéristique de la photographie, et aussi des arts graphiques et du cinéma, qui est de ne montrer qu’un monde parcellaire, et de laisser le spectateur
imaginer le reste.
Parler de l’invisible alors qu’on promeut de belles images peut paraître
contradictoire, mais c’est un moyen de sublimer les images et de leur donner un sens.

L’invisible, qu’est-ce que c’est ?

Savez-vous que notre vision est vraiment très limitée. Nos yeux ne sont capables de voir qu’une partie très limitée du spectre lumineux. D’où notre incapacité physiologique à capter une grande partie du monde qui nous entoure.

Est-ce cela l’invisible ?

En partie seulement car nous sommes aussi capables d’ignorer bien des choses qui sont pourtant parfaitement visibles avec nos yeux. Les photographes ont souvent capturer des images qui mettent en évidence cette invisibilité.
D’ailleurs c’est même l’essence de la photographie : faire un choix de ce que l’on montre ou pas. c’est le cadrage, pierre angulaire de notre pratique photographique. Mais dans tous les cas, nous sommes capables, si nous nous en donnons l’opportunité, de reconstruire l’invisible : d’un détail, nous pouvons reconnaître le tout ; d’une présence nous sommes capables d’imaginer l’absence et inversement.

Pourquoi un si grand parking, s’il y a qu’une seule voiture dans ce monde ?

L’invisible, c’est la narration du photographe

Jouer avec l’invisible permet au photographe de créer une inconnue dans son image.
Cette inconnue sera pour celui qui observe l’image, l’aiguillon de son imagination. Chacun va résoudre cette équation artistique avec son vécu et ses propres références. Il va créer sa propre histoire et « remplir » l’invisible de personnages, de sentiments ou d’actions qui lui permettront de faire son film.

Le photographe utilise son cadrage pour laisser une possibilité à celui qui regarde ses photos de devenir son propre scénariste. Parfois au risque d’une incompréhension ou d’un jugement sévère du public.
Je pense notamment à cette photo d’Omayra Sanchez, petite fille morte après des heures d’agonie coincée dans l’eau. Deux types de photos ont été diffusés : celles en plan serré sur Omayra, qui laissent supposer que la fillette est seule et abandonnée, horreur pour certains spectateurs qui ont vite accusé le photographe de non assistance à personne en danger de mort ; et celles en plan large qui montrent en plus de la fillette, les équipes de secours avec des moyens dérisoires qui tentent en vain de la secourir. Le photographe aurait-il pu réussir à la sauver, là où les équipes de secours n’y sont pas parvenues ? Devait-il poser son appareil et laisser Omayra dans l’anonymat?
Cette photo aussi tragique soit-elle n’a-t-elle pas joué un rôle plus important que n’importe quel autre média pour témoigner de cette catastrophe ?

La même incompréhension poussera même le photographe Kevin Carter au suicide après les attaques violentes du public sur sa photo d’une fillette affaiblie par la famine, surveillée par un vautour. La photo ne montre pas le charognard dévorée la fillette. Mais cette conclusion horrible et insupportable est pourtant celle retenue par la majorité des spectateurs de la photo. L’invisible est parfois plus fort que l’image elle-même au point de
prendre le dessus sur elle.

Ces deux exemples de photographies sont tirés du photo-journalisme mais l’utilisation du
cadrage pour exclure un élément de l’histoire est présente dans tous les styles

photographiques : les portraits clairs obscurs (low-key) qui ne dévoilent pas le visage en
entier en sont un bon exemple. En photo de mode, cette technique a été utilisée dans la
célèbre série de photos Aubade dont aucune femme n’avait de visage ! A chacun
d’imaginer le visage qu’il souhaite voir.


Voyez-vous un éléphant ou autre chose ?

L’invisible, la part d’ombre d’une œuvre

Une œuvre graphique telle qu’une photo, un tableau ou un film, a donc deux facettes. Telle la matière a l’anti-matière, la photo a sa part d’ombre au sens propre du terme. Cette part d’ombre est aussi importante que celle figée sur papier glacé. Elle permet de lui donner du sens, une perspective et une profondeur. Et le plus intéressant est surtout que cette partie invisible lui donne son unicité dans l’œil de l’amateur qui l’observe et qui l’interprète
comme il l’entend.

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